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Istanbul reste un sujet de choix pour la bande dessinée

Dérive orientale LocardIl est toujours intéressant de visiter une ville avec, dans l’esprit, un souvenir de lecture, tenter de retrouver la Venise ésotérique de Corto Maltese ou la maison du professeur Septimus au 2bis Tavistock Square à Londres. “Dérive orientale” de Younn Locard (L’Employé du Moi) permet cette recherche, sur le mode de l’errance, dans les lieux et dans l’Histoire.

En 1937, la Turquie n’est plus “l’homme malade de l’Europe” que la guerre de 1914-1918 avait laissée exsangue, amputée de ses conquêtes ottomanes. Mustapha Kemal l’a remise sur pied, lui a redonné une dignité et surtout, l’a complètement modernisée : instauration de la République, laïcisation de la société, réforme de l’écriture, vote des femmes… On y voit passer Trotski fuyant Staline et tandis que la république turque accueille dans ses universités une centaine de scientifiques juifs fuyant le piège nazi.

Mais nous sommes dans l’Orient compliqué, dans un millefeuille où les fondements de notre civilisation sont nés, entre le Mont Ararat, la Grèce d’Aristote aux portes de l’Europe, à la source du Tigre et de l’Euphrate, une marche essentielle de l’Islam. La Sublime Porte rayonne toujours de sa splendeur affectée et darde de ses minarets narquois la rationalité triomphante de la jeune république d’Ankara.

Younn Locard rend très bien tous ces paramètres. Quand commence notre histoire, Simon et Aillil sont en reportage pour un grand journal anglais. Il faut évoquer Istanbul, ville-monde étendard de l’occidentalité en terre musulmane, ignorer les fez, les bazars et les souks, et les superstitions ancestrales ; mentionner surtout le havre que constitue la ville pour les Chrétiens et autres minorités “étrangères”…

Locard Istanbul page

Jouant sur la dualité entre les protagonistes : le dessinateur à l’affût de la moindre sensation inédite, prêt à se laisser séduire par toutes les formes de charme ; le journaliste arc-bouté sur sa mission, recherchant les faits, fuyant l’imagerie surannée. L’œil exercé qui connaît la ville reconnaît le Pont et la Tour de Galata, le quartier d’Eminonu, le kiosque de Sultanhamet, la Citerne de la Basilique, la Mosquée Süleymaniye, le petit tram de Tünel, les quais de Kadiköy, les chats de Cihangir, les barques de pêcheurs et les larges terrasses surplombant le Bosphore…

Dans un dessin contemporain, une sorte de tempo-croquis à la Christophe Blain ou à la Vincent Perriot, Younn Locard nous emmène dans un voyage merveilleux, autant initiatique qu’artistique.

Joli moment de lecture.

Croquis Istanbul Locard